Dans les rues animées de N’Djamena, la capitale tchadienne, une scène se répète jour après jour. Des groupes d’enfants, souvent trois à cinq, parcourent les marchés, les routes poussiéreuses et les ruelles, leurs petites mains tendues vers les passants, murmurant inlassablement un seul mot : « sadaka », l’aumône. Ces enfants ne sont pas des figures isolées, mais une réalité omniprésente, formant une toile d’enfants mendiants, issus pour la plupart de familles réfugiées venues du Nigeria voisin.

L’histoire d’Aïcha et de ses frères et sœurs illustre ce quotidien. Vêtus de haillons, une tasse d’un côté et un panier de l’autre, ils déambulent sous le soleil brûlant, leurs petits pieds martelant l’asphalte entre le marché central et le marché à mil. La plus petite du groupe, pieds nus, échange de temps à autre ses rares sandales avec sa grande sœur. En dépit de leur situation, ces enfants affichent une joie désarmante. Ils chantent, dansent et se mirent dans les rétroviseurs des voitures arrêtées, captivés par leur propre reflet, peut-être un court répit dans une vie de lutte.
Ces enfants, ne parlant que leur langue maternelle, le haoussa, et quelques mots d’arabe, ne connaissent rien des salles de classe ni des leçons apprises par les enfants de leur âge. Leur seule « mission » : mendier, jour après jour, pour leur propre survie et celle de leur famille. Aïcha, la plus âgée, seulement dix ans, joue le rôle de chef de famille dans cette quête incessante de pitance. Elle explique, d’une voix douce mais déterminée : « Si je tombe malade, la famille n’a rien à manger. Les autres sont trop jeunes pour aller loin seuls. »

Parfois, ce parcours est parsemé de dangers, comme en témoigne l’incident dans un atelier de couture. L’un des petits garçons a fait l’erreur d’entrer dans l’atelier, ignorant qu’il y était interdit. Le propriétaire, sans avertissement, lui a infligé une gifle retentissante, son cri brisant la monotonie de la rue. Cette scène reflète une hostilité croissante envers ces enfants, perçus comme une gêne plutôt que comme des victimes des circonstances.
Moustapha Cherif, un habitant de N’Djamena, raconte une rencontre similaire. « Un jour, je suis descendu de ma voiture pour acheter un truc au marché. Trois enfants m’ont tout de suite agrippé par les habits, ne voulant pas me lâcher tant que je ne leur donnais pas quelque chose. C’était gênant. Je n’avais rien d’autre que l’argent pour mes courses », confie-t-il, l’air exaspéré. « Le gouvernement doit intervenir. »

Cette intervention est d’autant plus urgente que certains enfants sont poussés par leurs propres parents. Dans certains bars de la ville, les mamans mendiantes restent à distance, surveillant leurs enfants qui, eux, vont d’une table à l’autre, quémandant quelques pièces. Simon Passagne, un client régulier d’un bar d’Atrone, se souvient de l’une de ces scènes. « Après avoir donné une pièce à un enfant, j’ai vu sa mère récupérer discrètement l’argent. Cela m’a choqué. Depuis ce jour, je refuse de donner quoi que ce soit. »
Ces enfants ne sont pas seulement privés d’école, de jeux ou de soins médicaux. Ils portent sur leurs frêles épaules la responsabilité de nourrir leur famille, endossant des rôles d’adultes bien avant l’âge. Contrairement à leurs pairs, qui bénéficient des droits élémentaires à la santé, à l’éducation, et à un toit, ces enfants ne connaissent que l’errance et la mendicité.

Le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF) mène depuis des années une bataille pour garantir à chaque enfant un foyer sûr et l’accès à ces droits fondamentaux. Mais la situation reste complexe, exacerbée par la présence de milliers de réfugiés et les défis économiques et politiques du Tchad.
Le gouvernement tchadien a récemment pris des mesures drastiques. Quelques jours après notre rencontre avec Aïcha et ses frères, une décision du Premier ministre, Alla-Maye Halina, a ordonné le ratissage des enfants mendiants dans la capitale. Les enfants tchadiens sont conduits à la Garde nationale et nomade, tandis que les enfants étrangers, comme Aïcha et ses frères, sont destinés à être renvoyés vers leur pays d’origine, en collaboration avec leurs ambassades.

Cette action pose de nombreuses questions : quel avenir pour ces enfants, ballottés entre pays et systèmes ? Que deviennent-ils une fois éloignés des rues de N’Djamena, sans aucun filet de sécurité pour les protéger ? La politique de rapatriement, bien que visant à réduire la mendicité visible, n’aborde pas les racines du problème : la pauvreté, le manque d’accès à l’éducation et la protection de ces enfants vulnérables.
Ce qui est clair, c’est que, pour des enfants comme Aïcha, les rôles sont inversés. Dans une société où les adultes devraient protéger et nourrir leurs enfants, ce sont les plus jeunes qui, chaque jour, parcourent des kilomètres, espérant que la main tendue d’un passant leur permette de manger, ne serait-ce qu’un jour de plus.
Kouladoum Mireille Modestine





C’est une situation triste 😥